Sujet de thèse CIFRE – démarrage fin 2025

Vers une relation partenariale à la nature : une lecture par l’expérience de peuples autochtones du lien qu’entretiennent les mondes agricoles et les mouvements alternatifs avec leur milieu
études de terrains en Bretagne 

Direction : Anne Atlan, UMR 6590 ESO – site de Rennes
                   Socio-écologie, Directrice de recherche CNRS, HDR

Co-direction : Fabienne Joliet, UMR 6590 ESO- site d’Angers
                   Géographie culturelle, Professeure à l’Institut Agro Rennes Angers, HDR

Doctorant : Corto Fajal

Structures d’accueil et d’encadrement :

– UMR 6590 ESO, Laboratoire Espaces et Société – site de Rennes                             

– Entreprise : Arwestud Films, société de production
                                13 rue Michel Le Nobletz 35000 Rennes

Inscription : Université Rennes 2
                      Ecole doctorale ESC – Espaces Sociétés Civilisations

Contexte et enjeux

Renouveler les relations entre les humains et la nature est au cœur des grands défis environnementaux de notre époque. Les sociétés occidentales ont progressivement développé une vision dualiste, séparant nature et culture, l’humain de son milieu. Cette coupure, analysée par de nombreux auteurs (Abram, 2005 ; Terrasson, 1988 ; Berque, 1989 ; Descola,2004), a conduit à une exploitation excessive des ressources, à une dégradation des patrimoines naturels et in fine, à une crise écologique multidimensionnelle.

Différents courants de pensée (Haraway, 2002 ; Latour, 2017 ; Escobar, 2018) cherchent à restructurer les rapports entre l’humain et le non-humain. Ils s’appuient sur un constat : les approches conventionnelles des relations humain-nature montrent leurs limites face aux enjeux contemporains liés à la finitude des ressources et aux changements globaux. Il est donc nécessaire d’explorer de nouvelles perspectives, de nouvelles formes de relations au territoire dont le curseur se déplace de l’anthropocentrisme vers le biocentrisme, ou de l’Anthropocène au Symbiocène (Albrecht, 2020).

Cela se traduit notamment par un intérêt croissant qui se manifeste, jusque dans les instances internationales (IPBES, UICN, COP climat, COP Biodiversité, UNESCO), pour les savoirs et les pratiques dits « traditionnels » (ONU, Déclaration des Droits Autochtones en 2007), souvent associés à la vision holistique des peuples autochtones. Ces savoirs, accumulés sur le temps long de plusieurs générations, offrent des perspectives relationnelles et sensibles sur la gestion des écosystèmes, la conservation de la biodiversité ainsi que l’adaptation aux changements environnementaux.

Dans ce contexte, la notion d’autochtonie (définie ici comme celle s’appliquant aux peuples dits « autochtones ») ne se limite pas à sa dimension juridique ou politique, mais englobe une relation profonde et spirituelle au territoire qu’il est intéressant de reconsidérer aujourd’hui. Comme le souligne Merleau-Ponty (1945), « la perception que l’on a du milieu est influencée par les pratiques qui nous sont nécessaires » ou encore Berque, « les sociétés perçoivent leur environnement en fonction de l’aménagement qu’elles en font, et réciproquement, elles l’aménagent en fonction de la représentation de l’environnement qu’elles ont ».

L’autochtonie est avant tout une manière d’être au monde enracinée dans un lieu et une culture sans clivage marquée entre société et nature. Cette expérience des peuples autochtones, caractérisée par un partenariat étroit avec la nature, un continuum humain-non humain, une transmission intergénérationnelle des savoirs et des pratiques, corrélée à une dimension spirituelle et une sensibilité particulière aux signaux de l’environnement, peut-elle être transposée dans d’autres contextes, au-delà des communautés autochtones ?

La transition écologique, la relocalisation de nos modes de vie, la recherche de sens et d’ancrage sont autant de signes d’un désir de retrouver une relation avec son milieu qui s’est progressivement défaite avec la Modernité, pourtant porteuse de nombreuses avancées. Dans ce contexte, l’inversion de paradigme que propose l’expérience autochtone, où la pensée locale conditionne l’action globale, pourrait-elle nous aider à réparer nos « coupures » avec la nature et à construire une relation plus harmonieuse avec nos milieux de vie ? 

Il est important de préciser que l’objectif de cette recherche n’est pas d’établir une typologie des « autochtonies », ni de hiérarchiser différents groupes sociaux. Il s’agit plutôt d’identifier les éléments constitutifs d’une « expérience autochtone » qui pourraient inspirer nos sociétés contemporaines dans leur transition socio-écologique, notamment dans la Bretagne Rurale.

A partir d’un corpus varié et complémentaire issus de travaux antérieurs sur plusieurs peuples autochtones (Samis, Tikopiens, Inuits), la thèse propose dans une première partie de dégager et d’identifier les dimensions sensibles, émotionnelles, spirituelles, sensorielles et pratiques de l’expérience autochtone. Pour se faire, elle prévoit de mobiliser les concepts de mésologie (relation aux milieux de vie), de topophilie (attachement aux lieux) et de phénoménologie (expérience vécue), en prenant en compte les savoirs locaux et traditionnels, ainsi que les travaux issus de l’écopsychologie et de la géographie culturelle. L’enjeu dans un second temps sera de proposer une relecture et une interprétation de ces éléments, dans le but d’examiner si cette notion peut être élargie et transposée à d’autres groupes sociaux issus du monde occidental tels que les populations rurales (agriculteurs, paysans, néo-ruraux) mais aussi les mouvements écologistes engagés dans des pratiques alternatives (écovillages, éco-lieux, tiers lieu nourricier) qui développent également des liens forts avec leur territoire. Cette deuxième partie sera principalement centrée sur le terrain breton.

Ce terrain est choisi dans une optique de faisabilité – pour mobiliser les terrains d’étude des laboratoires porteurs et des partenaires, mais aussi et surtout pour sa grande pertinence : il cumule les pratiques agricoles et d’élevages traditionnelles et intensives avec développement pionnier de l’agriculture biologique et des innovations agroécologiques, la transmission et l’attachement à la terre via la transmission familiale ou les installations de néo-agroculteurss. Cette démarche pourrait contribuer à mieux comprendre favoriser de nouvelles formes d’engagement, transférables à d’autres territoires et groupes sociaux, en donnant lisibilité, pertinence et légitimité à des liens sensibles et réciproques avec la nature.

L’entreprise Arwestud films, basée en Bretagne, a déjà produit des films en relation avec la transition socio-écologique. Elle souhaite d’une part se projeter de manière dynamique et ancrée dans le territoire pour produire de prochains documentaires, d’autre part acquérir une compétence dans la réalisation de films à la dimension scientifique plus ancrée et légitimée. En accueillant Corto Fajal, elle souhaite marquer un fort engagement au niveau de sa politique de production de projet artistique en les orientant définitivement au service d’un monde en transition en valorisant l’ancrage local dans tous ses projets.  En ce sens, elle soutient la démarche et se propose de recruter Corto Fajal pour produire les éléments et contacts nécessaire à cette évolution.

Objectifs de la thèse :

1/ Repérer et analyser les représentations et les pratiques du territoire au sein d’une part de peuples autochtones reconnus par les instances internationales et précédemment étudiés par l’équipe, d’autre part de groupes occidentaux engagés dans une forme respectueuse de relation à la nature sur un territoire occidental, principalement la Bretagne (agricultures responsables et biologiques, communautés écologistes alternatives, acteurs de luttes environnementales).

2/ Identifier les éléments communs et/ou transférables dans les mécanismes d’attachement au lieu et de pratique de nature entre ces différents groupes, en s’appuyant sur les caractéristiques des relations à la nature des peuples autochtones (partenariat, continuité, spiritualité, sensibilité).

3/ Comprendre et accompagner l’émergence d’une relation holistique (sensible et partenariale) à la nature, les pratiques de la nature et de l’agriculture (visée transformative), proposer des éléments de transposition en termes incitatifs ou législatifs.

4/ Documenter la démarche en filmant les rencontres, les témoignages et la vie des acteurs dans le but de réaliser un film documentaire qui témoigne de cette « expérience autochtone élargie », croisée, des modalités de sa transposition dans les territoires bretons, et de sa pertinence pour les enjeux environnementaux actuels.

Méthodologie

Cette recherche est pensée dans une approche interdisciplinaire, combinant des méthodes issues de la géographie, de la sociologie, l’ethnographie et l’écopsychologie et des sciences de l’image

1/ Revue de littérature, pour un recensement théorique bibliographique des travaux existants sur 

  • les relations humains-nature, l’attachement au lieu
  • les mouvements socio-culturels liés à l’environnement, aussi bien sur les peuples autochtones que dans les sociétés occidentales, avec une attention particulière sur les mondes alternatifs écologistes et agricoles.

L’analyse sera menée grâce à l’élaboration d’une grille de lecture d’agrégation des données et comparative.

2/ Réanalyse des données ethnographiques collectées lors des documentaires réalisés par le candidat (images, entretiens, rusches, observation participante, entretiens…, sur deux peuples autochtones ; les samis éleveurs de rennes en Europe du Nord, les habitant de l’île de Tikopia dans le Pacifique Sud) et des travaux de l’une des co-directrices de thèse sur les Inuits du Nunavik. 

3/ Enquête de terrain,principalement en Bretagne

– Réalisation d’entretiens semi-directifs et d’entretiens compréhensifs auprès de personnes et groupes sociaux identifiés (dont les agriculteurs des projets PARTAGE et AMPERA portés par les laboratoires ESO et BAGAP).

– Analyse et réalisation de cartes sensibles auprès de personnes et groupes sociaux identifiés en co-construction avec les acteurs de terrain 

  • Recueil et commentaires de documents audiovisuels (photos, films), produite par les enquêtés et/ou par le doctorant.

4/ Réalisation de vidéos et feed-back 

– Réalisation de vidéos et de rushes durant et à partir des enquêtes, par le doctorant et par les enquêtés

– Rencontres réunissant des groupes d’acteurs différents, enquêtés ou non, autour de débats et des vidéos réalisées. 

Résultats attendus

Identifier et comparer les éléments constitutifs d’une « expérience autochtone » à son environnement et les TEK (Traditional Ecological Knowledge). Identifier les différentes modalité de relation à la nature et les convergences entre peuples autochtones et sociétés occidentales aujourd’hui par boucle de rétroaction en contexte post colonisation, changements globaux (climat, mondialisation, droits autochtones, justice environnementale, etc). 

Caractériser les types de transfert spatial et social, quelle forme hybridation et d’emprunt pratiques, social et/ou spirituel d’une expérience autochtone dans les environnements ruraux et agricoles en France (quelles relations transformatives ?) entre les polarités d’une conception biocentrée et écocentrée.

Contribuer à une réflexion critique sur les concepts d’autochtonie et de territoire, et sur leur pertinence pour penser les enjeux environnementaux actuels.

Dessiner une forme de « décolonisation » de la recherche en y intégrant l’apport des savoirs autochtones.

– Offrir des perspectives pour l’éducation, l’aménagement du territoire et les politiques environnementales, en intégrant les savoirs et les perspectives autochtones.

– Augmenter les compétences dArwestud -films à produire des films et vidéos scientifiques sur la transition socio et agro-écologique à destination de partenaires locaux ou non, à travers la fourniture d’éléments filmographiques. Constitution d’un argumentaire pour développer un réseau média autour d’une charte privilégiant la dimension hyper locale et transférable.

Valorisation

– articles et communications scientifiques

– production d’oeuvres audiovisuelles (films, ITV, éléments de documentaires)

– Publication grand public : production d’éléments et prise de contact pour livre, roman graphique et exposition

– valorisation croisée avec les projets partenaires.

Avec Arwestud films : réalisation de contenus vidéos à destination d’acteurs locaux,  production et réalisation d’un film documentaire qui témoigne de cette expérience autochtone élargie et de sa pertinence pour les enjeux environnementaux actuels sur des territoires ruraux français ( Bretagne, Creuse, Plateau des millevaches) 

Partenaires

Partenaire académiques- Laboratoires de recherche:

– UMR BAGAP (Biodiversité, AGroécologie et Aménagement du Paysage, INRAE/Institut Agro-Rennes Angers)

– UMR DECOD (Dynamique et durabilité des écosystèmes, INRAE/Institut Agro-Rennes Angers)

Projets de recherche

PARTAGE “Patrimoines naturels et transitions agroécologiques en Bretagne”, projet  IRISe en cours de montage.
 – AMPERA “Approche métabolique et paysagère pour une transition agroécologique territorialisée en élevage”, financement TETRAE

Entreprise, association, instituts

– BVBR (Association Bien Vivre en Bretagne Romantique)

– ITAB (Institut Technique de l’Agriculture Biologique)

– Fermes vivantes, Terres et bocages

Bibliographie 

Abram, D. (2013). Comment la terre s’est tue. La Découverte.

Albrecht, G. (2020). Les émotions de la Terre : Des nouveaux mots pour un nouveau monde. Éditions Les Liens qui libèrent. 

Berque, A. (2014). Poétique de la Terre : histoire naturelle et histoire humaine, essai de mésologie. Paris, Belin.

Escobar, A. (2018). Sentir-penser avec la Terre. Média Diffusion.

Joliet, F., Van Tilbeurgh, V., & Atlan, A. (2020). La valeur d’existence du monde vivant selon les Inuits du Nunavik et les Occidentaux aux Kerguelen. In Annales de géographie (Vol. 732, No. 2, pp. 31-52). Armand Colin.

Haraway, D. (2002). Situated Knowledges: The Science Question in Feminism and the Privilege of Partial Perspective. Routledge.

Latour, B. (2017). Où atterrir ? La Découverte.

Merleau-Ponty, M. (1976). Phénoménologie de la perception. Gallimard.

Terrasson, F. (2007). La peur de la nature : Au plus profond de notre inconscient, les vraies causes de la destruction de la nature. Sang de la Terre.