Bien vivre en Bretagne Romantique

Chronique de rentrée

chronique publiée en août 2021 sur le portail de l’association « Bien Vivre en Bretagne Romantique » dont je suis Président fondateur; à propos de pandémie, de monde d’après, de la vanité des injonctions, des tribunes et des plaidoyés qui exacerbent les radicalisés. voir l’article original

C’est la première rentrée de «  Bien Vivre en Bretagne Romantique  »  depuis sa création en association. L’occasion de revenir sur la genèse de cette dynamique impulsée dans un contexte particulier. Si la pandémie en a été le déclencheur et un accélérateur,  «  BVBR  » est née d’une aspiration collective d’habitants du territoire pour «  autre chose  ».

Clairement, «  Bien Vivre en Bretagne Romantique  » n’appartient pas dans ses valeurs  au «  monde d’avant  », même si, force est d’avouer, qu’elle est obligée de composer avec ce «  monde d’avant  » toujours bien présent dans nos réflexes quotidiens. 

Et c’est normal: tout le monde se focalise sur une reprise de la «  vie normale  », tellement ces derniers mois ont été éprouvants. C’est le seul cadre de référence qui nous donne les repères nécessaires sur lesquels s’appuyer pour organiser nos vies. 

On sait, on sent que le monde tel que nous le connaissons et dans lequel nous avons grandi est devenu obsolète, mais il n’est pas facile d’en imaginer un autre. On se tourne vers ce qui nous rassure et il faut faire un effort  pour s’extirper de la torpeur confortable d’un monde aux repères familiers même si paradoxalement ses perspectives sont de plus en plus angoissantes. De fait, les deux derniers siècles se sont ingéniés à nous faire croire que la Terre était un village asservi à nos seuls désirs et besoins, et que la course en avant des dettes  environnementales, climatiques et financières irremboursables était le seul modèle possible. 

Nous savons aujourd’hui que ce n’est pas vrai. Et si nous sommes nombreux à appeler de nos vœux un «  monde d’après  »,  à croire qu’un autre modèle est possible, il faut admettre que ce n’est pas ce qui se passe.  C’est un grand saut dans l’inconnu pour lequel nous ne sommes pas prêts. Il nous manque un récit, des bases sur lesquels s’appuyer, des fondations qui  nous rassurent. Si les initiatives foisonnent et cohabitent, elles ne font pas encore «  système  ». 

Il n’en reste pas moins qu’on ne peut pas faire comme s’il ne s’était rien passé. Car, n’en doutons pas, la période que nous vivons depuis plus d’un an et pour encore quelques temps fera partie des livres d’Histoire: c’est la première fois que toute une population, qui ne se posait pas  beaucoup de question sur le sens du monde dans lequel elle vit, réalise que ce monde à qui elle confie sa vie, son avenir, celui de ses enfants est fragile et peut se montrer défaillant dans la protection que l’on est en droit d’en attendre.

Qu’est ce qui en découlera? 

Personne n’en sait rien.

Tout est possible…

Mais l’Histoire est là en exemple et comme souvent peut donner des indices :  la première grande pandémie mondiale, la peste Justinienne, a coïncidé avec un bouleversement climatique provoquant une petite période glaciaire sur l’Europe et le Moyen Orient alors sous l’hégémonie multi-séculaire de l’Empire Romain. Plusieurs années de mauvaises récoltes, de famines, de révoltes, de population décimée par la peste, de perte de confiance envers les autorités politiques, médicales et religieuses de l’époque ont vu s’effondrer la civilisation romaine et naître la 3ème grande religion monothéiste  (entre l’an 500 et 750). Deux évènements  qui, on en conviendra, sont loin d’être anecdotiques dans le cours de l’Histoire. C’est alors le début de ce que l’on appelle les âges sombres du haut moyen âge, qui après les siècles fastes de la domination romaine ont vu les grandes voies commerciales qui unifiaient tout l’empire délaissées et se dégrader plongeant certaines régions dans l’oubli et l’isolement, la splendeur des villes comme Rome, Constantinople, Milan, Athènes et Alexandrie décliner, le retour à une économie locale de subsistance à l’échelle de villages, de comtés, souvent à la merci de hordes barbares, bandits de grands chemin, à la constitution de petits royaumes et duchés qui perdurent et se développent jusqu’au XIème et XIIème siècle où à nouveau reviennent en force les grands royaumes, leurs armées et leurs administrations pour réorganiser tout ça.

Et oui ! Ça donne le tournis quand même : 250 ans de pandémie et 4 à 5 siècles pour voir émerger un nouveau monde conquérant, découvreur, créatif dont nous héritons toujours aujourd’hui pour le meilleur et pour le pire. Assurément une temporalité qui nous invite à beaucoup d’humilité dans nos attentes et nos impatiences. Car même si de nos jours tout s’accélère : la circulation des virus, des informations, des marchandises, des mœurs, des gens, le bouleversement climatique, l’érosion de la biodiversité, la dégradation et la pollution des éléments que sont l’eau, l’air et les sols ;  les révolutions de civilisations prennent du temps. Gageons toutefois que face à l’urgence de changer nos pratiques, tous les  sillons que nous traçons aujourd’hui sur nos territoires, préparent à un changement devenu nécessaire, indispensable, inévitable, inexorable.

On peine à trouver les réponses et adapter les curseurs  pour imaginer un monde nouveau. Nous assistons à l’anarchie pléthorique des idées, des postures, des radicalités, à une perte de confiance envers l’institution et l’autorité pour remédier aux maux du monde, qui nourrit en retour défiances, mal-être et inadaptations.  

A force d’en rajouter sans rien enlever, notre monde, entraîné dans un engrenage hors sol, entretient l’illusion de sa propre cohérence, dans une dynamique qui ne nourrit finalement que sa complexité. Il devient impossible de s’y retrouver.  

On ne compte plus les injonctions des influenceurs, les plaidoyers des penseurs, les tribunes des essayistes, les diagnostics des experts qui cherchent audience auprès de l’assemblée  planétaire des médias et des réseaux sociaux. Cette abondance entre en résonance dans cette immense chambre d’échos et devient un chaos inaudible  et peu représentatif de toutes les réalités, des modes de vie, des contextes. C’est le règne des «  chapelles  », des certitudes auréolées de pertinence pour ceux qui les brandissent, qui les défendent et qui y croient, et tout autant de pertinence pour ceux qui les critiquent et les contredisent.

Serait-ce un signe que nous arrivons aux limites du débat d’opinion?  Dans la complexité du monde, nous pouvons désormais puiser tous les arguments, toutes les légitimités, toutes les opportunités, tous les fondements scientifiques, les courants philosophiques et spirituels pour étayer tous les points de vue et leur bien fondé. Sans enracinement, les idées voyagent désormais d’un bout à l’autre de la planète instantanément, s’échangent et se jouent comme lors d’une partie de cartes en changeant de main, de combinaisons, se confrontent dans des arènes ou des gladiateurs joutent à mort avec leurs adversaires face à un public déchaîné, s’adoptent sans nuances et sans filtres comme des vérités intangibles et volatiles.  La spécificité des cultures, des modes de vies, les différentes réalités, la diversité des quotidiens sont sacrifiés… Ainsi, le débat d’idée d’aujourd’hui renvoie les gens dos à dos sans réconciliation, sans nuances ; chacun s’accrochant à son arsenal d’arguments qui pulvérise ceux des autres. 

Mais alors comment peut on changer si les idées seules ne permettent plus de le faire? Car pour changer, on peut avoir des idées, il faut avoir des idées; mais celles ci aujourd’hui divisent plus qu’elles ne créent de vraie dynamique collective. 

Parallèlement, on entend de plus en plus de mouvements et de courants de pensées plébisciter la sagesse des peuples autochtones et leurs modes de vie traditionnels. La parole de leurs représentants résume souvent en 3 mots des concepts qu’il nous faut expliquer et décortiquer en de longues chroniques comme celle ci, car leur réalité semble plus simple, plus évidente. D’où acquièrent-ils ce discernement et cette vision du monde souvent désirable? La plupart du temps ce n’est pas dans les livres, mais en se «  salissant les mains dans la terre propre  » d’un milieu de vie qui les nourrit, les protège et les abrite. En retour l’intimité de leur relation avec ce «  milieu  » nourrit leur réflexion, aiguise leur sens de l’observation, leur savoir et leur vision du monde. Des pensées nées de la terre en quelque sorte, ou de l’air, de l’eau et du feu. C’est de cette relation au milieu de vie qu’est née en Amérique du Sud la notion du «  Sumak Kawsay  » en quechua, appelé aussi le «  Buen vivir  »  dans la plupart des pays d’Amérique du Sud qui l’ont adopté comme un courant de pensée.

Bon mais alors? direz vous! 

Qu’est-ce que cela a à voir avec la Bretagne Romantique ?

Le lien commence à être évident non? 

«  Buen vivir  » : Bien vivre  . 

Voilà de quoi «  Bien Vivre en Bretagne Romantique  » est le nom. 

L’association a fait sienne cette notion du «  Buen Vivir  » depuis sa création et cherche à entretenir, dans ses projets, cette vision des choses : place au local, à nos villages, nos quartiers, nos bassins de vie, au plaisir de faire ensemble, au collectif, au partage, à l’échange, aux influences, mais au service de la qualité d’une relation à construire avec notre lieu de vie. Réapprenons à le découvrir, à le regarder, à l’aimer et à le vivre.

Si «  Bien vivre  » est devenue une expression à la mode qui exprime un souhait très ethnocentré, nous souhaitons que cette expression incarne le renouveau d’un lien indéfectible à notre milieu que nous avons un peu négligé dans nos sociétés hors sol.

Nous devons nous efforcer de mettre en avant la potentialité de nos milieux de vie à nous réjouir, à nous nourrir, à nous divertir, à nous abriter, à nous apporter l’essentiel.

C’est concret, c’est pragmatique, c’est ambitieux, c’est un projet.  On essaie. C’est le début de la promesse d’un nouveau récit.  Cette  façon de voir le «  local  » ne conjugue pas à l’impératif toutes les radicalités du monde : ce serait tomber dans le règne des idées qui divisent.  Elle se décline à travers plusieurs mots clefs qui sont inscrits dans nos statuts:

  •   Relier  : les différents acteurs du territoire entre eux, les habitants avec leur milieu de vie, compléter la cohérence de chacune des initiatives entre elles pour dessiner les manières d’habiter son territoire demain.
  •   Amplifier  : à partir des initiatives locales existantes, mutualiser, mettre en place de nouvelles collaborations.
  •   Renforcer  : en participant au fléchage de la production alimentaire de nos bassins de vie sur la consommation de ses habitants dans une perspective de souveraineté alimentaire. Renforcer aussi le sens des responsabilités des habitants concernant la qualité de leur milieu de vie, du paysage, de l’eau, du sol et de l’air. 
  •   Innover en imaginant des actions concrètes sans limiter les champs d’investigation. Ne se donner aucune limite dans ce que l’on imagine pour demain pour favoriser le bien vivre à l’échelle du bassin de vie.

En mettant en avant nos diversités de cultures, de pratiques, de croyances, d’expériences, nous avons plus à partager et à faire ensemble au service de la qualité de nos modes de vie et de notre relation à nos milieux.

Voilà : ce sont les prémisses d’un nouveau récit qui s’écrit au présent. C’est en tout cas ce projet que nous avons en Bretagne Romantique, petite poussière dans l’océan du monde, caillou sur la carte de France, guère plus gros qu’un rocher en Bretagne. C’est avec cette philosophie que s’engagent les projets de BVBR avec et à destination de tous les habitants du bassin de vie qui désirent nous accompagner.

Il y a  le marché ambulant bien sûr autour duquel nous souhaitons participer au développement d’une souveraineté alimentaire et du bien manger local. Mais aussi, la Grande Traversée de Bretagne Romantique qui doit nous permettre de découvrir notre terrain de jeu, mettre en valeur la richesse de sa biodiversité et de ses différents milieux.

Il y a aussi ce superbe endroit où nous sommes installés  avec la Compagnie de spectacle Artoutaï:  «  Les serres de Launay  » à Quebriac,  au cœur de la Bretagne Romantique, et sur lequel nous préparons un projet agri-culturel au service des habitants du territoire. De nombreux rendez-vous, ateliers, événements, animations y verront le jour dans les semaines et les mois à venir, à commencer par le «  marché des serres  » qui doit réunir le 19 septembre prochain la plupart des fournisseurs du marché ambulant. 

Il y a encore ce portail rédactionnel et prochainement multimédia qui met en valeur à travers des rencontres et des portraits les acteurs de notre bassin de vie qui en font l’actualité et la richesse.

C’est aussi ce groupe Facebook, où tout a commencé : un véritable «  réseau social territorial  », très pertinent qui touche aujourd’hui pas loin de 25% de la population du territoire et qui depuis sa création participe grandement à un esprit d’entraide, de partage et d’échange très actif sur notre bassin de vie.

Et puis il y a aussi tout le reste de l’écosystème de notre territoire au sens large qui partage dans ses projets beaucoup de ces visions rendues indispensables, en quête d’une meilleure qualité de vie. De nombreuses actions, projets, initiatives sont en cours qui permettent des collaborations innovantes à imaginer, et qui nous inspirent. La liste est tellement longue : l’introduction prochaine d’une monnaie locale pour nos échanges quotidiens, le projet d’aménagement de notre territoire pour les 15 ans à venir qui se discute en permettant aux habitants d’apporter leur contribution, les projets de restaurations de milieux dégradés à commencer par les cours d’eaux, le développement de lieux culturels ou de commerces de proximités, des initiatives au service de la production d’énergie locale et renouvelables, l’extrême richesse créative, musicale et culturelle de plusieurs acteurs, et on en oublie…

On le voit, le monde de demain commence à s’inventer. 

Et c’est fascinant.

Merci à ceux qui ont eu le courage de lire cette très courte chronique jusqu’au bout !

Bonne rentrée à tous!

C’est la première rentrée de «  Bien Vivre en Bretagne Romantique  »  depuis sa création en association. L’occasion de revenir sur la genèse de cette dynamique impulsée dans un contexte particulier. Si la pandémie en a été le déclencheur et un accélérateur,  «  BVBR  » est née d’une aspiration collective d’habitants du territoire pour «  autre chose  ».

Clairement, «  Bien Vivre en Bretagne Romantique  » n’appartient pas dans ses valeurs  au «  monde d’avant  », même si, force est d’avouer, qu’elle est obligée de composer avec ce «  monde d’avant  » toujours bien présent dans nos réflexes quotidiens. 

Et c’est normal: tout le monde se focalise sur une reprise de la «  vie normale  », tellement ces derniers mois ont été éprouvants. C’est le seul cadre de référence qui nous donne les repères nécessaires sur lesquels s’appuyer pour organiser nos vies. 

On sait, on sent que le monde tel que nous le connaissons et dans lequel nous avons grandi est devenu obsolète, mais il n’est pas facile d’en imaginer un autre. On se tourne vers ce qui nous rassure et il faut faire un effort  pour s’extirper de la torpeur confortable d’un monde aux repères familiers même si paradoxalement ses perspectives sont de plus en plus angoissantes. De fait, les deux derniers siècles se sont ingéniés à nous faire croire que la Terre était un village asservi à nos seuls désirs et besoins, et que la course en avant des dettes  environnementales, climatiques et financières irremboursables était le seul modèle possible. 

Nous savons aujourd’hui que ce n’est pas vrai. Et si nous sommes nombreux à appeler de nos vœux un «  monde d’après  »,  à croire qu’un autre modèle est possible, il faut admettre que ce n’est pas ce qui se passe.  C’est un grand saut dans l’inconnu pour lequel nous ne sommes pas prêts. Il nous manque un récit, des bases sur lesquels s’appuyer, des fondations qui  nous rassurent. Si les initiatives foisonnent et cohabitent, elles ne font pas encore «  système  ». 

Il n’en reste pas moins qu’on ne peut pas faire comme s’il ne s’était rien passé. Car, n’en doutons pas, la période que nous vivons depuis plus d’un an et pour encore quelques temps fera partie des livres d’Histoire: c’est la première fois que toute une population, qui ne se posait pas  beaucoup de question sur le sens du monde dans lequel elle vit, réalise que ce monde à qui elle confie sa vie, son avenir, celui de ses enfants est fragile et peut se montrer défaillant dans la protection que l’on est en droit d’en attendre.

Qu’est ce qui en découlera? 

Personne n’en sait rien.

Tout est possible…

Mais l’Histoire est là en exemple et comme souvent peut donner des indices :  la première grande pandémie mondiale, la peste Justinienne, a coïncidé avec un bouleversement climatique provoquant une petite période glaciaire sur l’Europe et le Moyen Orient alors sous l’hégémonie multi-séculaire de l’Empire Romain. Plusieurs années de mauvaises récoltes, de famines, de révoltes, de population décimée par la peste, de perte de confiance envers les autorités politiques, médicales et religieuses de l’époque ont vu s’effondrer la civilisation romaine et naître la 3ème grande religion monothéiste  (entre l’an 500 et 750). Deux évènements  qui, on en conviendra, sont loin d’être anecdotiques dans le cours de l’Histoire. C’est alors le début de ce que l’on appelle les âges sombres du haut moyen âge, qui après les siècles fastes de la domination romaine ont vu les grandes voies commerciales qui unifiaient tout l’empire délaissées et se dégrader plongeant certaines régions dans l’oubli et l’isolement, la splendeur des villes comme Rome, Constantinople, Milan, Athènes et Alexandrie décliner, le retour à une économie locale de subsistance à l’échelle de villages, de comtés, souvent à la merci de hordes barbares, bandits de grands chemin, à la constitution de petits royaumes et duchés qui perdurent et se développent jusqu’au XIème et XIIème siècle où à nouveau reviennent en force les grands royaumes, leurs armées et leurs administrations pour réorganiser tout ça.

Et oui ! Ça donne le tournis quand même : 250 ans de pandémie et 4 à 5 siècles pour voir émerger un nouveau monde conquérant, découvreur, créatif dont nous héritons toujours aujourd’hui pour le meilleur et pour le pire. Assurément une temporalité qui nous invite à beaucoup d’humilité dans nos attentes et nos impatiences. Car même si de nos jours tout s’accélère : la circulation des virus, des informations, des marchandises, des mœurs, des gens, le bouleversement climatique, l’érosion de la biodiversité, la dégradation et la pollution des éléments que sont l’eau, l’air et les sols ;  les révolutions de civilisations prennent du temps. Gageons toutefois que face à l’urgence de changer nos pratiques, tous les  sillons que nous traçons aujourd’hui sur nos territoires, préparent à un changement devenu nécessaire, indispensable, inévitable, inexorable.

On peine à trouver les réponses et adapter les curseurs  pour imaginer un monde nouveau. Nous assistons à l’anarchie pléthorique des idées, des postures, des radicalités, à une perte de confiance envers l’institution et l’autorité pour remédier aux maux du monde, qui nourrit en retour défiances, mal-être et inadaptations.  

A force d’en rajouter sans rien enlever, notre monde, entraîné dans un engrenage hors sol, entretient l’illusion de sa propre cohérence, dans une dynamique qui ne nourrit finalement que sa complexité. Il devient impossible de s’y retrouver.  

On ne compte plus les injonctions des influenceurs, les plaidoyers des penseurs, les tribunes des essayistes, les diagnostics des experts qui cherchent audience auprès de l’assemblée  planétaire des médias et des réseaux sociaux. Cette abondance entre en résonance dans cette immense chambre d’échos et devient un chaos inaudible  et peu représentatif de toutes les réalités, des modes de vie, des contextes. C’est le règne des «  chapelles  », des certitudes auréolées de pertinence pour ceux qui les brandissent, qui les défendent et qui y croient, et tout autant de pertinence pour ceux qui les critiquent et les contredisent.

Serait-ce un signe que nous arrivons aux limites du débat d’opinion?  Dans la complexité du monde, nous pouvons désormais puiser tous les arguments, toutes les légitimités, toutes les opportunités, tous les fondements scientifiques, les courants philosophiques et spirituels pour étayer tous les points de vue et leur bien fondé. Sans enracinement, les idées voyagent désormais d’un bout à l’autre de la planète instantanément, s’échangent et se jouent comme lors d’une partie de cartes en changeant de main, de combinaisons, se confrontent dans des arènes ou des gladiateurs joutent à mort avec leurs adversaires face à un public déchaîné, s’adoptent sans nuances et sans filtres comme des vérités intangibles et volatiles.  La spécificité des cultures, des modes de vies, les différentes réalités, la diversité des quotidiens sont sacrifiés… Ainsi, le débat d’idée d’aujourd’hui renvoie les gens dos à dos sans réconciliation, sans nuances ; chacun s’accrochant à son arsenal d’arguments qui pulvérise ceux des autres. 

Mais alors comment peut on changer si les idées seules ne permettent plus de le faire? Car pour changer, on peut avoir des idées, il faut avoir des idées; mais celles ci aujourd’hui divisent plus qu’elles ne créent de vraie dynamique collective. 

Parallèlement, on entend de plus en plus de mouvements et de courants de pensées plébisciter la sagesse des peuples autochtones et leurs modes de vie traditionnels. La parole de leurs représentants résume souvent en 3 mots des concepts qu’il nous faut expliquer et décortiquer en de longues chroniques comme celle ci, car leur réalité semble plus simple, plus évidente. D’où acquièrent-ils ce discernement et cette vision du monde souvent désirable? La plupart du temps ce n’est pas dans les livres, mais en se «  salissant les mains dans la terre propre  » d’un milieu de vie qui les nourrit, les protège et les abrite. En retour l’intimité de leur relation avec ce «  milieu  » nourrit leur réflexion, aiguise leur sens de l’observation, leur savoir et leur vision du monde. Des pensées nées de la terre en quelque sorte, ou de l’air, de l’eau et du feu. C’est de cette relation au milieu de vie qu’est née en Amérique du Sud la notion du «  Sumak Kawsay  » en quechua, appelé aussi le «  Buen vivir  »  dans la plupart des pays d’Amérique du Sud qui l’ont adopté comme un courant de pensée.

Bon mais alors? direz vous! 

Qu’est-ce que cela a à voir avec la Bretagne Romantique ?

Le lien commence à être évident non? 

«  Buen vivir  » : Bien vivre  . 

Voilà de quoi «  Bien Vivre en Bretagne Romantique  » est le nom. 

L’association a fait sienne cette notion du «  Buen Vivir  » depuis sa création et cherche à entretenir, dans ses projets, cette vision des choses : place au local, à nos villages, nos quartiers, nos bassins de vie, au plaisir de faire ensemble, au collectif, au partage, à l’échange, aux influences, mais au service de la qualité d’une relation à construire avec notre lieu de vie. Réapprenons à le découvrir, à le regarder, à l’aimer et à le vivre.

Si «  Bien vivre  » est devenue une expression à la mode qui exprime un souhait très ethnocentré, nous souhaitons que cette expression incarne le renouveau d’un lien indéfectible à notre milieu que nous avons un peu négligé dans nos sociétés hors sol.

Nous devons nous efforcer de mettre en avant la potentialité de nos milieux de vie à nous réjouir, à nous nourrir, à nous divertir, à nous abriter, à nous apporter l’essentiel.

C’est concret, c’est pragmatique, c’est ambitieux, c’est un projet.  On essaie. C’est le début de la promesse d’un nouveau récit.  Cette  façon de voir le «  local  » ne conjugue pas à l’impératif toutes les radicalités du monde : ce serait tomber dans le règne des idées qui divisent.  Elle se décline à travers plusieurs mots clefs qui sont inscrits dans nos statuts:

  •   Relier  : les différents acteurs du territoire entre eux, les habitants avec leur milieu de vie, compléter la cohérence de chacune des initiatives entre elles pour dessiner les manières d’habiter son territoire demain.
  •   Amplifier  : à partir des initiatives locales existantes, mutualiser, mettre en place de nouvelles collaborations.
  •   Renforcer  : en participant au fléchage de la production alimentaire de nos bassins de vie sur la consommation de ses habitants dans une perspective de souveraineté alimentaire. Renforcer aussi le sens des responsabilités des habitants concernant la qualité de leur milieu de vie, du paysage, de l’eau, du sol et de l’air. 
  •   Innover en imaginant des actions concrètes sans limiter les champs d’investigation. Ne se donner aucune limite dans ce que l’on imagine pour demain pour favoriser le bien vivre à l’échelle du bassin de vie.

En mettant en avant nos diversités de cultures, de pratiques, de croyances, d’expériences, nous avons plus à partager et à faire ensemble au service de la qualité de nos modes de vie et de notre relation à nos milieux.

Voilà : ce sont les prémisses d’un nouveau récit qui s’écrit au présent. C’est en tout cas ce projet que nous avons en Bretagne Romantique, petite poussière dans l’océan du monde, caillou sur la carte de France, guère plus gros qu’un rocher en Bretagne. C’est avec cette philosophie que s’engagent les projets de BVBR avec et à destination de tous les habitants du bassin de vie qui désirent nous accompagner.

Il y a  le marché ambulant bien sûr autour duquel nous souhaitons participer au développement d’une souveraineté alimentaire et du bien manger local. Mais aussi, la Grande Traversée de Bretagne Romantique qui doit nous permettre de découvrir notre terrain de jeu, mettre en valeur la richesse de sa biodiversité et de ses différents milieux.

Il y a aussi ce superbe endroit où nous sommes installés  avec la Compagnie de spectacle Artoutaï:  «  Les serres de Launay  » à Quebriac,  au cœur de la Bretagne Romantique, et sur lequel nous préparons un projet agri-culturel au service des habitants du territoire. De nombreux rendez-vous, ateliers, événements, animations y verront le jour dans les semaines et les mois à venir, à commencer par le «  marché des serres  » qui doit réunir le 19 septembre prochain la plupart des fournisseurs du marché ambulant. 

Il y a encore ce portail rédactionnel et prochainement multimédia qui met en valeur à travers des rencontres et des portraits les acteurs de notre bassin de vie qui en font l’actualité et la richesse.

C’est aussi ce groupe Facebook, où tout a commencé : un véritable «  réseau social territorial  », très pertinent qui touche aujourd’hui pas loin de 25% de la population du territoire et qui depuis sa création participe grandement à un esprit d’entraide, de partage et d’échange très actif sur notre bassin de vie.

Et puis il y a aussi tout le reste de l’écosystème de notre territoire au sens large qui partage dans ses projets beaucoup de ces visions rendues indispensables, en quête d’une meilleure qualité de vie. De nombreuses actions, projets, initiatives sont en cours qui permettent des collaborations innovantes à imaginer, et qui nous inspirent. La liste est tellement longue : l’introduction prochaine d’une monnaie locale pour nos échanges quotidiens, le projet d’aménagement de notre territoire pour les 15 ans à venir qui se discute en permettant aux habitants d’apporter leur contribution, les projets de restaurations de milieux dégradés à commencer par les cours d’eaux, le développement de lieux culturels ou de commerces de proximités, des initiatives au service de la production d’énergie locale et renouvelables, l’extrême richesse créative, musicale et culturelle de plusieurs acteurs, et on en oublie…

On le voit, le monde de demain commence à s’inventer. 

Et c’est fascinant.

Merci à ceux qui ont eu le courage de lire cette très courte chronique jusqu’au bout !

Bonne rentrée à tous!