ruban de moebius

L’impossible objectivité

Quand la science contemporaine rejoint l’expérience autochtone

Coïncidence ou synchronicité?

Presque deux mois après avoir écrit le texte « les pieds dans l’eau » et par un effet de synchronicité étrange une publication scientifique majeure vient faire écho aux intuitions que ce texte décrit, et renforce le cadre des réflexions que je m’apprêtais à partager. Un article scientifique qui selon moi peut considérablement contribuer à changer le regard que nous avons sur le monde. 

Maria Strømme, professeure de science des matériaux à l’Université d’Uppsala, vient donc de publier dans la revue à comité de lecture (revue scientifique dont les contenus sont validés par des pairs); AIP Advances un article intitulé « Universal consciousness as foundational field: A theoretical bridge between quantum physics and non-dual philosophy » ( La conscience universelle comme champ fondamental : Pont théorique entre physique quantique et philosophie non-duelle).  Il est possible que derrière ce titre un peu barbare, se cache les clefs ouvrant les portes d’un paradigme, que nous sommes nombreux à vouloir explorer..

L’article sélectionné comme meilleur du numéro et mis en couverture, propose une théorie dans laquelle la conscience vient en premier, et les structures telles que le temps, l’espace et la matière apparaissent ensuite.

Strømme, mène habituellement des recherches en nanotechnologie et propose dans sa démonstration mathématique, un changement d’échelle. Son cadre théorique présente la conscience non pas comme un sous-produit de l’activité cérébrale, mais comme un champ fondamental sous-jacent à tout ce que nous expérimentons — la matière, l’espace, le temps et la vie elle-même.

« Je suis une scientifique des matériaux et une ingénieure, donc j’ai l’habitude de voir la matière comme quelque chose de fondamental, » explique-t-elle. « Mais selon ce modèle, la matière est secondaire, une grande partie de ce que nous expérimentons est représentation ou illusion. »

Cette publication n’est pas un cas isolé. Elle s’inscrit dans un mouvement plus large au sein des sciences contemporaines : comme nous allons le voir ci-dessous, une convergence disciplinaire des sciences occidentales, arrivent à des conclusions qui rejoignent étrangement les cosmovisions autochtones et les philosophies non-duelles.

LA PHÉNOMÉNOLOGIE : L’IMPOSSIBILITÉ DU SENTANT ET DU SENTI

Maurice Merleau-Ponty, dans sa Phénoménologie de la perception (1945), bouleverse déjà le dualisme cartésien en démontrant l’impossibilité de séparer le sujet qui perçoit de ce qui est perçu.

« Le monde est non pas ce que je pense, mais ce que je vis, » écrit-il. Pour Merleau-Ponty, la perception n’est pas une opération intellectuelle où un sujet observe un objet externe. C’est une co-présence, une communion entre le corps percevant et le monde perçu.

Il développe le concept de « chair du monde » (chair comme traduction de l’allemand Leib, le corps vivant et vécu): je ne peux toucher sans être touché, voir sans être exposé au visible. L’observateur et l’observé sont liés par la réciprocité de leur perception.

Renaud Barbaras, philosophe contemporain,  prolonge cette intuition en montrant que la vie elle-même est caractérisée par cette impossibilité de la séparation. Dans Introduction à une phénoménologie de la vie (2008), il montre que tout être vivant est mouvement vers le monde, désir et ouverture. Il n’y a pas de vie « en soi », isolée, objective : la vie est une relation.

L’expérience que je décris « les pieds dans l’eau » corrobore exactement cela : impossible de séparer mes sensations (l’eau fraîche, le vent) de ma présence corporelle qui modifie le sable, dévie les courants. Je suis à la fois sentant et senti, observateur et partie prenante du phénomène observé.

LA MÉSOLOGIE : CO-CONSTITUTION DE L’ÊTRE ET DU MILIEU

Augustin Berque, géographe et philosophe, développe depuis quarante ans une mésologie  (science des milieux) qui rejoint ces intuitions phénoménologiques.

Pour Berque, il n’y a pas « d’environnement » objectif d’un côté et un « sujet » de l’autre. Il y a un milieu, qui est toujours à la fois objectif (données physiques mesurables) et subjectif (significations vécues). Le milieu n’est ni purement physique, ni purement mental : il est trajectif, c’est-à-dire qu’il résulte d’une trajection constante entre le corps et son monde.

Berque parle de médiance : l’être humain n’est ni pur sujet ni pur objet, il est toujours situé dans un milieu qui le constitue autant qu’il le constitue lui-même.

« L’être humain n’est pas dans l’environnement comme un objet dans un contenant, » écrit Berque. « Il est du milieu, il est son milieu. »

Cette idée résonne également profondément avec mon expérience (Les pieds dans l’eau) : les pieds enfoncés dans le sable, le sillon créé par ma présence, les coquillages déposés là. Je ne suis pas dans ce paysage, j’en fais partie, je le co-constitue à chaque instant.

LA PHYSIQUE QUANTIQUE : L’IMPOSSIBILITÉ DE L’OBSERVATEUR NEUTRE

La recherche récente de Strömme prolonge des intuitions et des expériences déjà bien ancrées dans le milieu de la physique quantique. En effet, dès le début du XXe siècle, la physique quantique bouleverse notre conception de la réalité en démontrant que l’acte d’observation modifie ce qui est observé.

Werner Heisenberg, avec son principe d’incertitude (1927), montre qu’il est impossible de mesurer simultanément la position et la vitesse d’une particule avec une précision absolue. Mais plus fondamentalement encore, la mesure elle-même participe à la détermination de l’état de la particule.

Niels Bohr développe le concept de complémentarité : une particule n’est ni onde ni corpuscule « en soi ». Elle se manifeste comme l’un ou l’autre en fonction du dispositif expérimental. L’observateur et son appareillage font partie du phénomène observé.

Michel Bitbol, philosophe et physicien, pousse cette logique jusqu’au bout dans De l’intérieur du monde (2010). Il montre que toute connaissance est connaissance située, incarnée, première personne. Prétendre à une vue « de nulle part », objective et neutre, est une illusion métaphysique.

Outre Atlantique, c’est Karen Barad, spécialiste de physique quantique et devenue philosophe avec sa théorie de l’agential realism (Meeting the Universe Halfway, 2007), qui développe le concept d’intra-action (plutôt qu’interaction) : les relata (les choses en relation) n’existent pas avant la relation. C’est la relation elle-même qui fait émerger les entités.

Barad suggère que « les phénomènes ne préexistent pas à leur mesure, ils émergent de l’intra-action entre l’appareil de mesure et ce qui est mesuré. »

Maria Strømme (2025) avec sa publication de ce mois de novembre enfonce le clou et s’inscrit dans cette lignée en proposant une formulation quantique rigoureuse où la conscience est ce champ fondamental d’où émergent temps, espace et matière. Elle formule mathématiquement les intuitions  d’Heisenberg, Bohr et Bitbol: l’impossibilité de séparer l’observateur de l’observé.

Convenons en: c’est juste révolutionnaire!

Rien qu’à l’idée d’imaginer toutes les implications qu’induisent ces nouvelles paire de lunettes pour regarder le monde, j’en ai le tournis!!

L’ÉCOPSYCHOLOGIE : LA LÉGITIMITÉ DES AFFECTS TERRITORIAUX

Glenn Albrecht, philosophe environnemental australien, développe depuis 2005 une écopsychologie qui reconnaît la légitimité scientifique des affects liés au territoire.

Il cree le concept de solastalgie : la détresse psychique causée par la dégradation de son environnement familier alors qu’on reste physiquement sur place. Ce n’est pas de la nostalgie (souffrance du départ), c’est la souffrance de voir son lieu se dégrader.

Dans Earth Emotions (2019), Albrecht montre que nos affects territoriaux ne sont pas des projections subjectives sur un monde objectif neutre. Ils sont des modes de connaissance à part entière, des façons d’être en relation avec le milieu qui nous informent sur l’état de ce milieu.

Donna Haraway, biologiste et philosophe, va plus loin encore avec son concept de sympoïèse (Staying with the Trouble, 2016) : humains et non-humains ne se font pas séparément, ils se font ensemble (make-with plutôt que make), dans un processus continu de création mutuelle

« Nous sommes compost, pas posthumains, » écrit-elle. Nous sommes terriens, tissés dans le terreau du vivant, incapables de nous extraire pour observer « objectivement » ce dont nous faisons intrinsèquement partie.

L’expérience que je décris (les pieds dans l’eau) le confirme : la fraîcheur de l’eau n’est pas une « donnée objective » que j’enregistrerais passivement. C’est une relation : mon corps s’ouvre à la sensation, la température devient signifiante pour moi, ici, maintenant. Cette connaissance est légitime, rigoureuse, transmissible,  mais elle est irréductiblement située et incarnée.

LA THÉORIE DE LA RÉSONANCE : AU-DELÀ DE LA DISPONIBILITÉ

Hartmut Rosa, sociologue allemand, développe dans Résonance (2016) une critique radicale de la modernité tardive fondée sur le concept d’aliénation comme perte de relation résonnante au monde.

Pour Rosa, une relation de résonance est une relation où :

  1. Je suis affecté par le monde (A→fffection)
  2. Je réponds au monde, je l’affecte en retour (É→motion)
  3. Cette relation transforme à la fois le monde et moi-même (Transformation)

Rosa oppose ce mode résonnant au mode de disponibilité (Verfügbarkeit) caractéristique de la modernité : le monde comme ressource à contrôler, à optimiser, à rendre « disponible » pour nos projets.

La science objectiviste, l’évolution technologique actuelle participent de cette logique de disponibilité : elles cherchent à rendre le monde prévisible, contrôlable, disponible. Elles évacuent systématiquement tout ce qui relève de l’affect, du ressenti, de la transformation mutuelle; précisément ce qui caractérise une relation vivante au monde.

Les pieds dans l’eau, je fais l’expérience de cette résonance : l’eau m’affecte (sensation de fraîcheur), je réponds (mon corps s’enfonce, je me laisse imprégner), et cette rencontre nous transforme mutuellement (le sable se creuse, mes sensations s’affinent, ma pensée s’éveille).

Cette expérience n’est pas « subjective » au sens de « arbitraire, fantasmatique, non-scientifique ». Elle est rigoureusement située et incarnée, reproductible dans ses conditions (toute personne les pieds dans l’eau froide vivra une expérience comparable), et elle m’apprend quelque chose sur la nature de la réalité.

L’EXPÉRIENCE AUTOCHTONE : CE QUE LA SCIENCE REDÉCOUVRE

Pendant que les disciplines occidentales convergent lentement, au prix de révolutions conceptuelles majeures, vers ces intuitions, les cosmovisions autochtones elles, les ont toujours portées.

Robin Wall Kimmerer, botaniste et membre de la nation Potawatomi, le dit explicitement dans « Tresser les herbes sacrées » (2013) : « Dans ma langue maternelle, il n’y a pas de mot pour ‘nature’. Il n’y a que des relations. »

Pour les Potawatomi comme pour la plupart des peuples autochtones, l’idée même d’une séparation entre l’observateur et l’observé est absurde. Le territoire n’est pas un « objet » que l’on étudie : c’est un réseau de relations dont nous faisons partie.

Gregory Cajete (Tewa), dans Native Science (1999), montre que les savoirs écologiques traditionnels (TEK – Traditional Ecological Knowledge) ne sont pas des « croyances » ou du « folklore » : c’est un corpus de connaissances rigoureuses fondées sur des millénaires d’observation fine, de transmission générationnelle, d’adaptation aux changements.

Mais contrairement à la science occidentale moderne, le TEK n’exclut pas le chercheur de son terrain. Au contraire : la qualité de la relation que le chercheur entretient avec le territoire conditionne la qualité de sa connaissance.

Shawn Wilson (Cree), dans Research Is Ceremony (2008), le formule ainsi : « Je ne peux pas étudier une chose dont je ne fais pas partie. Je dois établir une relation avec elle pour la comprendre. »

Aileen Moreton-Robinson (Goenpul), dans Talkin’ Up to the White Woman (2000), montre que les ontologies autochtones australiennes sont fondées sur le concept de relatedness : tout est relié, tout est co-constitué. Il n’y a pas de « pays » (country) séparé des humains qui l’habitent — le pays et les humains se font mutuellement au fil des générations.

C’est Arturo Escobar qui synthétise brillamment cette divergence dans son ouvrage « Sentir-penser avec la Terre » (2018) : les perceptions dualistes héritées du monde occidental (nature/culture, sujet/objet, esprit/matière) ne sont pas universelles. Elles ne sont qu’une option de récit parmi d’autres, historiquement située, culturellement spécifique.

Les récits relationnelles autochtones — qui refusent ces séparations — ne sont pas « archaïques » ou « pré-scientifiques ». Elles sont philosophiquement innovantes pour affronter la crise écologique contemporaine, précisément parce qu’elles permettent de penser la co-appartenance plutôt que la domination. Ils proposent de regarder le monde et d’habiter la terre à travers un prisme nouveau, holistique ou le monde humain et non humain s’inscrit dans une continuité, quand la dualité consacre la discontinuité.

De mon côté, pendant quinze ans, j’ai filmé des peuples autochtones : les Samis éleveurs de rennes dans le grand nord suédois et les Tikopiens dans le Pacifique Sud. Comme le montre les exemples décrits dans l’article « les pieds dans l’eau »  même en m’astreignant à une forme de neutralité, il devenait vite évident que je faisais partie de leur histoire, de l’histoire des lieux. 

Ces expériences vécues et décrites consolidées par  l’éclairage  de tout ce qui précède, mettent un sérieux coup de canif dans les méthodologies scientifiques dites objectives. L’observateur transforme l’observé, et vice versa,  non pas accidentellement, mais structurellement. Dire que les méthodologies scientifiques classiques « invisibilisent les subjectivités » et donc occulte un partie des savoirs qui s’y trouvent serait plus juste que de prétendre à une impossible neutralité.

CONVERGENCE CONTEMPORAINE : QUAND L’ETIC REJOINT L’EMIC

En anthropologie et en linguistique, on distingue deux approches :

  • Approche ETIC (de « phonétique ») : point de vue externe, objectif, universel: le chercheur observe de l’extérieur avec des catégories prédéfinies
  • Approche EMIC (de « phonémique ») : point de vue interne, situé: le chercheur part des catégories propres aux acteurs étudiés

Historiquement, la science occidentale privilégie l’approche etic : observer, mesurer, catégoriser de l’extérieur, selon des protocoles dits neutres et universels.

Mais comme on vient de le voir, lorsque les perceptions etic les plus rigoureuses (phénoménologie, mésologie, physique quantique, écopsychologie) sont poussées au bout de leur logique, elles convergent vers des positions emic.

  • Merleau-Ponty (etic phénoménologique) → impossibilité sentant/senti = position emic (comme cosmovisions autochtones)
  • Berque (etic géographique/mésologique) → co-constitution être/milieu = position emic
  • Heisenberg, Bitbol, Barad (etic physique quantique) → impossibilité observateur/observé = position emic
  • Albrecht, Haraway (etic écopsychologie) → légitimité affects, sympoïèse = position emic
  • Strømme (etic science des matériaux/quantique) → conscience fondamentale, matière secondaire = position emic

Une conclusion se dessine, une intuition prend corps petit à petit: Ce n’est pas emic CONTRE etic. C’est le raisonnement académique etic et rigoureux  qui rejoint les perceptions emic!

Maria Strømme le dit explicitement dans son article : « Les textes des grandes religions; Bible, Coran, Védas, décrivent souvent une conscience interconnectée. Ceux qui les ont écrits utilisaient un langage métaphorique pour exprimer des intuitions sur la nature de la réalité. Les premiers physiciens quantiques sont arrivés à des idées similaires en utilisant des méthodes scientifiques. Maintenant, il est temps pour la science dure, les sciences naturelles modernes, de commencer sérieusement à explorer cela. »

Strømme parle ici des sciences de la nature (physique, biologie). Mais il me semble que cette convergence concerne tout autant les sciences sociales, la géographie, l’anthropologie et la sociologie, qui, comme on l’a vu précédemment ont aussi cheminé en explorant des méthodologies reconnaissant l’impossibilité de la neutralité du chercheur.

L’observation participante (Malinowski), l’auto-ethnographie (Favret-Saada), les approches emic (Pike), les méthodologies décoloniales (Tuhiwai Smith, Wilson) : les sciences sociales font aussi ce chemin. Elles ont déjà reconnu que le chercheur transforme son terrain et en est transformé.

Ce qui est nouveau aujourd’hui, c’est que les sciences dures parviennent aux mêmes conclusions par un autre chemin. Quatre chemins convergents : savoirs traditionnelles, savoirs spirituels, sciences sociales, sciences dures; une même vérité s’impose : l’impossibilité de la séparation.

IMPLICATIONS POUR MA RECHERCHE

Cette convergence a des implications majeures pour le projet de recherche que j’entreprend et par extension pour toutes les disciplines qui étudient les relations des humains à leurs territoires, voire des relations entre humains et non humains, du monde vivant avec son environnement.

Si l’impossibilité de l’objectivation est avérée, non pas comme limite regrettable, mais comme structure même de la réalité; alors on peut souligner :

1. La limite des protocoles actuels:

Les méthodologies dominantes en sciences sociales reposent encore largement sur une séparation fictive entre chercheur et terrain. L’observation participante est reconnue, certes, mais souvent comme un pis-aller, une approximation acceptable faute de pouvoir atteindre la vraie neutralité.

Il faut inverser la logique : ce n’est pas que nous échouons à être objectifs, c’est que l’objectivité elle-même est une fiction. La relation, la co-constitution, l’entrelacement sont la norme et pas l’exception.

2. La légitimation des dimensions sensibles

Les affects, les sensations, les dimensions préverbales, non verbales et spirituelles des relations au territoire ne sont pas des « résidus subjectifs » à éliminer. Ce sont des modes de connaissance légitime.

Quand je ressens la fraîcheur de l’eau sur mes chevilles, ce n’est pas une donnée « moins scientifique » que la température mesurée au thermomètre. C’est une autre modalité de connaissance, complémentaire, irremplaçable.

3. L’auto-ethnographie qui devient protocole

Si le chercheur fait nécessairement partie du phénomène qu’il étudie, alors documenter sa propre transformation, ses propres affects, ses propres perceptions n’est pas du narcissisme méthodologique; c’est une rigueur méthodologique.

Jeanne Favret-Saada l’a magistralement démontré dans Les mots, la mort, les sorts (1977) : pour comprendre la sorcellerie en Mayenne, elle a dû accepter d’être affectée, de devenir elle-même actrice du système qu’elle étudiait.

4. La co-production s’impose

Si la connaissance émerge de la relation, alors les « sujets » étudiés sont co-producteurs de la connaissance. Ils ne sont pas « informateurs » passifs, mais experts de leurs territoires avec qui le chercheur entre en dialogue.

Shawn Wilson (2008) propose que la recherche devienne cérémonie : un processus qui honore les relations, qui transforme toutes les parties, qui assume pleinement la réciprocité.

CONCLUSION : L’URGENCE D’UNE SCIENCE RELATIONNELLE

Nous vivons une époque charnière. La crise écologique n’est pas seulement une crise matérielle (climat, biodiversité, ressources). C’est d’abord une crise de la pensée et de notre façon de nous penser dans le monde.

Tant que nous nous pensons comme extérieurs à la nature, comme observateurs neutres d’un monde-ressource disponible pour nos projets, nous reproduirons les logiques extractivistes qui nous mènent au désastre.

La bonne nouvelle, c’est que les sciences contemporaines les plus rigoureuses convergent désormais vers un autre recit : celui de la relation, de la co-constitution, de l’entrelacement.

De Merleau-Ponty à Strømme, de Berque à Barad, de Rosa à Haraway, un même constat s’impose : nous ne sommes pas dans le monde comme des objets dans un contenant. Nous sommes du monde, tissés dans sa chair, co-émergents avec lui.

Cette intuition, les peuples autochtones l’ont toujours portée. Robin Wall Kimmerer, Gregory Cajete, Shawn Wilson, Aileen Moreton-Robinson nous le rappellent : les cosmovisions relationnelles ne sont pas archaïques.

De mon côté, je crois qu’être  «tombé » incidemment sur la publication de Maria Strømme deux mois après le texte que j’ai dicté les pieds dans l’eau et à peine quelques jours après le démarrage officiel de mon projet de recherche n’est pas une simple coïncidence. Il y à là une synchronicité signifiante : un signe que le temps est venu de dépasser l’illusion de l’objectivité dogmatique et un encouragement à cheminer dans la direction que j’explore intuitivement depuis si longtemps et que j’ai l’opportunité de pouvoir théoriser dans les années qui viennent. Il est sans doute venu le temps d’une science qui assume pleinement la relation. Une science qui intègre les affects, les sensations, les transformations mutuelles et qui reconnaît que chercher, c’est à la fois transformer et être transformé.

« Les pieds dans l’eau, j’ai ressenti cette vérité dans ma chair.
Les sciences contemporaines l’ont mise en  équations.
Les peuples autochtones eux, l’ont toujours su »

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

Phénoménologie

  • Merleau-Ponty, M. (1945). Phénoménologie de la perception. Paris, Gallimard.
  • Barbaras, R. (2008). Introduction à une phénoménologie de la vie. Paris, Vrin.

Mésologie

  • Berque, A. (2000). Écoumène : Introduction à l’étude des milieux humains. Paris, Belin.
  • Berque, A. (2014). Poétique de la Terre. Paris, Belin.

Physique quantique et épistémologie

  • Bitbol, M. (2010). De l’intérieur du monde : Pour une philosophie et une science des relations. Paris, Flammarion.
  • Barad, K. (2007). Meeting the Universe Halfway: Quantum Physics and the Entanglement of Matter and Meaning. Durham, Duke University Press.
  • Strømme, M. (2025). « Universal consciousness as foundational field: A theoretical bridge between quantum physics and non-dual philosophy. » AIP Advances.

Écopsychologie

  • Albrecht, G. (2019). Earth Emotions: New Words for a New World. Cornell University Press.
  • Haraway, D. (2016). Staying with the Trouble: Making Kin in the Chthulucene. Durham, Duke University Press.

Sociologie de la résonance

  • Rosa, H. (2016). Résonance : Une sociologie de la relation au monde. Paris, La Découverte.

Savoirs autochtones

  • Kimmerer, R. W. (2013). Braiding Sweetgrass: Indigenous Wisdom, Scientific Knowledge, and the Teachings of Plants. Milkweed Editions.
  • Cajete, G. (1999). Native Science: Natural Laws of Interdependence. Santa Fe, Clear Light Publishers.
  • Wilson, S. (2008). Research Is Ceremony: Indigenous Research Methods. Halifax, Fernwood Publishing.
  • Escobar, A. (2018). Sentir-penser avec la Terre : L’écologie au-delà de l’Occident. Paris, Seuil.

Anthropologie et méthodologie

  • Favret-Saada, J. (1977). Les mots, la mort, les sorts. Paris, Gallimard.