🎓 Mon projet de Recherche Doctorale

Vers une relation partenariale Ă  la nature : une lecture par l’expĂ©rience de peuples autochtones du lien qu’entretiennent les mondes agricoles et les mouvements alternatifs avec leur milieu
Ă©tudes de terrains en Bretagne et sur le plateau de Millevaches (avril 205)

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Telle est ma question de recherche au moment de ma candidature Ă  ce projet. Cette question de recherche est appelĂ©e Ă  Ă©voluer dans les semaines et mois qui viennent au fur et Ă  mesure que j’explore les arguments acadĂ©miques et scientifiques sur lesquelles appuyer mon cheminement.

PRÉSENTATION DU PROJET

Le point de dĂ©part : quinze ans d’immersion documentaire

Cette recherche trouve sa genèse dans mon expĂ©rience de terrain : quinze annĂ©es d’immersion documentaire auprès de peuples autochtones et traditionnelles (Samis de Suède, Tikopiens des Ă®les Salomon). Ă€ travers mes films Jon, face aux vents(2011) et Nous, Tikopia (2018), j’ai partagĂ© pendant des annĂ©es le quotidien de communautĂ©s qui entretiennent avec leur territoire des relations profondĂ©ment diffĂ©rentes de celles que nous connaissons en Occident.

Ces expĂ©riences m’ont rĂ©vĂ©lĂ© l’existence de modalitĂ©s relationnelles oĂą les dimensions sensorielles, affectives et spirituelles ne sont pas sĂ©parĂ©es des pratiques matĂ©rielles, mais forment avec elles un tout cohĂ©rent. Pour les Tikopiens, l’Ă®le est un ĂŞtre vivant qui parle, guide, protège. Pour Jon, Ă©leveur de rennes samis, les montagnes, les vents et les troupeaux tissent ensemble une cosmologie oĂą l’humain n’est qu’un Ă©lĂ©ment parmi d’autres.

Mais comment Ă©tudier scientifiquement ces relations ? Comment rendre compte, dans le cadre acadĂ©mique de la gĂ©ographie, de ces dimensions sensibles qui Ă©chappent rĂ©gulièrement aux protocoles d’enquĂŞte classiques ? Et pire encore, comment en adopter les usages et les mĂ©thodes pour apprĂ©hender le monde Ă  l’heure ou des consensus de plus en plus nombreux reconnaissent jusqu’au plus hautes instances internationales la nĂ©cessitĂ© de recourir Ă  ces savoirs pour adopter d’autres manière d’ĂŞtre au monde?

La question centrale

Cette recherche part d’une inquiĂ©tude Ă©pistĂ©mologique fondamentale :

Les protocoles de validation académique classiques nous obligent-ils à censurer les dimensions sensibles, affectives et spirituelles des relations au territoire ?

Le paradoxe que j’ai observĂ© est le suivant : en tant qu’observateur immergĂ©, j’ai accès Ă  ces dimensions par l’observation participante et l’expĂ©rience vĂ©cue. Mais au moment de la restitution qu’elle soit artistique ou scientifique, les normes sociĂ©tales et acadĂ©miques (formatĂ© par la dualitĂ© et l’anthropocentrisme) me poussent Ă  les effacer, Ă  les mettre entre guillemets, Ă  les relĂ©guer au rang d’anecdotes ou de « croyances » non scientifiques ou de sujets que l’on montre

Mon hypothèse : le choix mĂ©thodologique ne se contente pas de collecter des donnĂ©es – il configure activement ce qui devient visible ou invisible dans la recherche gĂ©ographique. En d’autres termes : on ne voit que ce que nos mĂ©thodes nous permettent de voir.

Géographies relationnelles : un concept

Mon cheminement de recherche actuel m’amène Ă  explorer une notion de « GĂ©ographie relationnelle » qui mĂ©rite clarification. Cela pose le cadre d’une relation symbiotique et d’ interactions entre des relations gĂ©ophysiques (cycles hydrologiques, processus gĂ©omorphologiques), des relations socio-techniques (pratiques, savoir-faire, amĂ©nagements), des relations Ă©cologiques (symbioses, prĂ©dations, cycles), des relations cosmologiques (significations, rituels, attachements) qui s’apprĂ©hendent Ă  travers plusieurs processus relationnels:

  • Habiter intensĂ©ment un lieu (pas seulement y rĂ©sider)
  • ConnaĂ®tre intimement ses cycles, ses rythmes, ses ĂŞtres vivants
  • En prendre soin et recevoir en retour ses enseignements
  • IntĂ©grer les dimensions sensibles (affectives, sensorielles, spirituelles) comme part lĂ©gitime de la relation territoriale
  • Se laisser transformer par le territoire autant qu’on le transforme

Cette acception s’inspire d’ÉlisĂ©e Reclus (« l’Homme-Terre »), d’Augustin Berque (mĂ©diance, co-constitution humains-milieux), de Yi-Fu Tuan (topophilie), et de Tim Ingold (habiter la terre).

TERRAINS DE RECHERCHE

Bretagne rurale et Plateau de Millevaches

Mon terrain principal se situe en Bretagne rurale et sur le Plateau de Millevaches, auprès de différentes populations rurales : permaculteurs, agriculteurs, néo-ruraux engagés dans des alternatives territoriales.

Pourquoi ce terrain ?

Ce public me semble pouvoir dĂ©velopper une « expĂ©rience autochtone » de leurs territoires : il dĂ©veloppe ou a reçu en hĂ©ritage, des savoirs Ă©cologiques fins, une attention sensorielle aux sols et aux plantes, une dimension spirituelle ou philosophique dans leur relation Ă  la terre. Leur expĂ©rience rĂ©sonne avec ce que j’ai observĂ© chez les peuples autochtones.

Question empirique : Comment ces ruraux construisent-ils leur territorialitĂ© ? Quelles continuitĂ©s, quelles ruptures avec les cosmovisions autochtones que j’ai documentĂ©es ?

MÉTHODOLOGIE : UNE GÉOGRAPHIE DE TERRAIN RELATIONNELLE

Le verrou méthodologique

Le cœur de cette recherche ne sera pas seulement empirique, mais également méthodologique.

Constat : Les méthodologies classiques en géographie (questionnaires, entretiens semi-directifs, observations distanciées) produisent un certain type de données – qualitatives, quantitatives, objectivables, généralisables, mais excluent structurellement les dimensions sensibles et subjectives de la relation au territoire.

Proposition : Comparer deux protocoles de validation scientifique sur le mĂŞme terrain immersif :

Protocole A : Restitution académique classique

  • Entretiens semi-directifs
  • Grille d’analyse préétablie
  • Objectivation maximale
  • Évacuation du sensible et du vĂ©cu subjectif

Protocole B : Restitution phénoménologique

  • Observation participante immersive
  • entretiens comprĂ©hensifs
  • Parcours commentĂ©s, cartographie sensible
  • Écriture Ă  la première personne
  • IntĂ©gration du sensible comme donnĂ©e lĂ©gitime d’acquisition de savoir et de crĂ©ation d’une relation au milieu

Objectif : Montrer que les deux protocoles ne révèlent pas les mêmes dimensions de la territorialité. Que le protocole B fait apparaître des dimensions invisibilisées par le protocole A.

Outils méthodologiques

  • Immersion de terrain longue durĂ©e (plusieurs mois)
  • Observation participante : participation aux travaux agricoles, vie quotidienne
  • Parcours commentĂ©s : marcher avec les praticiens dans leurs parcelles
  • Cartographie sensible : reprĂ©senter les dimensions affectives et sensorielles du territoire
  • Entretiens approfondis : rĂ©cits de vie, trajectoires biographiques
  • Écriture gĂ©ographique Ă  la première personne : lĂ©gitimer le « je » du chercheur immergĂ©

CADRE THÉORIQUE

1. Critique du dualisme moderne (Descola, Latour)

Philippe Descola (Par-delà nature et culture, 2005) a montré que la séparation nature/culture est une construction historique occidentale – la « Grande Partition ». Cette séparation structure encore les sciences, y compris la géographie.

Enjeu : Comment penser des relations au territoire qui ne séparent pas nature et culture, matériel et symbolique, objectif et subjectif ?

2. Géographie relationnelle (Berque, Ingold, Abram)

Augustin Berque propose le concept de mĂ©diance : humains et milieux se co-constituent mutuellement. Tim Ingold parle d’un « monde habité » oĂą les relations prĂ©cèdent les entitĂ©s. David Abram explore la dimension sensible et corporelle de l’habiter.

Enjeu : Fonder une géographie qui prend au sérieux les relations, les affects, les corps, les sensorialités.

3. Savoirs autochtones et cosmovisions (Viveiros de Castro, Kohn, Escobar)

Eduardo Viveiros de Castro, Eduardo Kohn, Arturo Escobar ont dĂ©veloppĂ© des philosophies « d’ĂŞtre au monde » (perspectivisme amazonien, anthropologie au-delĂ  de l’humain) qui remettent en question nos catĂ©gories occidentales et son point de vue anthropocentrique.

Enjeu : Que peut apprendre la géographie des perceptions autochtones ?

4. Écriture incarnée et regard du chercheur (Favret-Saada, Despret)

Jeanne Favret-Saada (« Être affecté ») et Vinciane Despret montrent qu’il faut parfois ĂŞtre transformĂ© par son terrain pour le comprendre. L’Ă©criture Ă  la première personne devient alors une nĂ©cessitĂ© mĂ©thodologique.

Enjeu : LĂ©gitimer scientifiquement l’affect, le corps, la subjectivitĂ© du chercheur.

APPORTS ATTENDUS

1. Apport empirique

Connaissance fine des territorialités en construction en Bretagne rurale et sur le Plateau de Millevaches. Documentation des processus de « réautochtonie » dans les populations rurales

2. Apport méthodologique

Protocole comparatif transfĂ©rable Ă  d’autres terrains. DĂ©monstration que le choix mĂ©thodologique configure ce qui devient visible. LĂ©gitimation de mĂ©thodes immersives et sensibles en gĂ©ographie.

3. Apport disciplinaire

Fondation thĂ©orique d’une gĂ©ographie relationnelle qui intègre les dimensions sensibles, affectives et spirituelles. Contribution Ă  la critique du dualisme moderne en gĂ©ographie.

4. Apport sociétal

Comprendre comment se construisent de nouvelles relations au territoire est essentiel dans un contexte de crises écologiques. Cette recherche peut nourrir les réflexions sur les transitions territoriales.